Didier Mélon : "Je ne veux pas rater ce rendez-vous avec la culture wallonne"

Producteur et animateur radio de l'emblématique émission de musique du monde "Le Monde est un Village", qu'il anime depuis 1998 sur les ondes de La Première (RTBF), Didier Mélon est à la fois un grand passionné et le témoin des nombreuses productions musicales de ces dernières années dans ce secteur. Comme "musique du monde de nos régions", la musique wallonne (et la musique des Wallons) a bien sûr sa place au sein de sa programmation. A l'approche des 25 ans de l'émission, fêtés le 26 avril prochain au 140 à Schaerbeek, il a accepté de nous accorder une interview exclusive. Au programme : la place du répertoire traditionnel wallon, son intérêt et son exposition médiatique.

On sent, depuis quelques années, un certain regain d'intérêt par rapport aux traditions musicales de Wallonie. Comment voyez-vous cette dynamique ?

Très favorablement et très positivement. Je suis à l’écoute de certains frémissements et ravi de constater qu’il y a actuellement des productions qui vont clairement dans ce sens-là. En tant que média, je peux donner une résonance à cet intérêt, mais il y a aussi tout le travail des académies, des conservatoires, et toutes les attitudes que des personnes peuvent avoir au niveau des instruments traditionnels. L'accordéon diatonique est davantage pris en compte et en considération. J'espère que cela ira croissant et s'élargissant pour d'autres instruments également.

 

Et pourquoi, selon vous, ce moment a-t-il lieu maintenant ?

Je crois que le fait d’avoir autant de possibilités historiques et informatiques nouvelles est quelque chose de très intéressant. Je pense à tout le travail développé par certains, dont le Canard Folk ou Melchior et évidemment à tous les artistes et aux nouveaux musiciens qui ont entrepris une réflexion, pris une position. Et puis, il y a toute la mise à disposition des informations qui vont clairement dans le juste sens. Si la matière existe, que l'on sait qu'elle peut être trouvée ici ou là, cela peut être quelque chose de tout à fait appréciable.

 

En septembre 2023, vous avez organisé un double live "Le Monde est un Village" consacré à la Wallonie. Qu'est-ce qui vous y a décidé ?

C’était un moment très important pour nous. Ces énergies que je constate, il faut en faire quelque chose. Je ne suis pas musicien, mais je peux donner une visibilité, un cadre, une dynamique à ce genre d'événements.

Historiquement, en Belgique, il y a eu une présence des musiques traditionnelles et folk qui était plus continue, parce que la VRT a continué à avoir des émissions de ce type-là jusqu'il y a peu. Et ça, c'était intéressant, tout comme c'est intéressant de voir ce que vont donner les choses maintenant que la VRT n'a plus d'émission, ne consacre plus autant de moyens à ces musiques. La Wallonie y consacre extrêmement peu de ressources, mais la Flandre n'a plus d'émissions comme jadis. Toutes les émissions qui existaient sur Radio Eén ou le 3e programme n'existent plus pour l'instant. Ce n'est pas un effet qui peut se faire sentir tout de suite, il faut attendre quelques années, souvent 3 à 5 ans, pour voir les impacts que cela pourrait avoir. C'est carrément une étude universitaire qu'il faudrait faire.

 

Quelles étaient ces émissions ?

La dernière en date, c'était De Groote Boodschap, qui était produite par Dree Peremans et qui a été reprise par Marc Vandemorteele. Et, par exemple, avec De Groote Boodschap, il y a quelques années, nous avions organisé une émission commune entre la RTBF et la VRT à Huy, à l'Espace Saint-Mengold, avec des artistes de Flandre et de Wallonie. La VRT était venue avec des moyens techniques et c'était une très belle expérience, à faire et à suivre. Malheureusement, cela ne s'est pas poursuivi pour des raisons financières, mais c'est le genre de connexion qui peut être utile pour le petit territoire que nous partageons en Belgique.

Malheureusement, Marc Vandemoortele est retraité maintenant et d'après mes informations, il n'est pas évident que quelque chose puisse suivre et continuer. Cela va certainement laisser un vide en Flandre.De mon côté, j'ai envie de ne pas rater ce rendez-vous avec la culture wallonne.

Comment concevez-vous votre rôle de journaliste et d'animateur dans la promotion de la musique wallonne ?

Je vois qu’on n’est pas très nombreux à avoir cette prise de conscience et l'envie de changer les choses. J'ai la chance d'avoir une liberté éditoriale et musicale. J'ai aussi la chance de travailler sur un média de service public : il peut et doit donc se passer des choses avec ces musiques. Une autre chance que j'ai, c'est que mon activité va de l'éditorial à la production, en passant par la programmation, la réalisation et l'animation. Je peux, peut-être, mieux sentir ce qu'il y a à faire et ce que l'on peut envisager avec ces différentes casquettes-là.

Et ceci dans le sens que je peux avoir une influence sur la programmation des disques. Cela a tout son sens quand on veut faire des interviews, un reportage ou des captations.

 

Et d'une manière plus générale, comment voyez-vous le rôle des médias dans la diffusion de cette musique ?

Le rôle des médias, c'est de constater, de décrypter et d'amplifier, mais pour tout ça, il faut qu'il y ait un minimum de connaissances et d'intérêt et je trouve que des télévisions de proximité, communautaires, peuvent avoir un joli rôle à jouer, en associant la musique à des concerts, des interviews, des portraits, etc. C'est quelque chose de très précieux au niveau de l'ancrage local. Et la presse régionale aussi pourrait avoir une première attention sur les gens. Il n'y a rien à faire, si quelqu'un travaille vraiment l'information sur un bout de territoire, il a des connaissances que je ne pourrai jamais avoir, mais le fait qu'il y ait une première amplification, qu'il puisse attirer, par exemple, mon attention sur l'existence d'un groupe, d'une musique ou d'un artiste, d'un musicien, c'est un peu la machine qui se met en route et ce sont des informations qui sont partagées.

 

On dit parfois des traditions wallonnes qu'elles souffrent d'un certain manque de richesse musicale, qu'elles seraient moins intéressantes, moins riches que certaines régions de France, par exemple, comme la Bretagne, l'Auvergne ou le Sud-Ouest. Que pensez-vous de cette affirmation ?

La Wallonie est plus pauvre que la France, mais de manière générale, c'est tout le Benelux qui est pauvre en matière de musique traditionnelle. Ce n'est pas nécessairement la Wallonie. Les Pays Bas et le Luxembourg ne sont pas non plus très riches en la matière. La Flandre a été mieux servie grâce à la continuité instituée par la BRT, la BRTN et puis la VRT, avec des émissions, des captations, des concerts enregistrés ici et là. C'est quelque chose qui était très important.

Le fait qui ait eu peut-être moins de musique traditionnelle en Wallonie a peut-être favorisé le registre chanson : le malheur des uns fait le bonheur des autres. Une génération d’auteurs-compositeurs-interprètes a émergé. S'il y avait eu de la musique traditionnelle, peut-être qu'il y aurait eu moins de chansons. Un guitariste comme Quentin Dujardin, s'il avait été présent sur la scène traditionnelle et intéressé par ces musiques, qu'est-ce qu'il en aurait fait ? Il y a plein de jeunes musiciens : s'ils avaient eu plus de proximité avec la musique traditionnelle, est-ce que leur vie, leur offre aurait changé ? On ne le saura sans doute jamais, mais je me pose régulièrement la question.

 

 

"Je n'ai jamais senti autant d'énergies positives et d'intérêt que maintenant. J'engage tous les partenaires possibles à se parler et à les mettre en commun." (Didier Mélon)

 

 

Moi, c’est en Bretagne que j’ai vu un projet particulier qui m’a fait réfléchir : c’étaient de très jeunes musiciens qui pratiquaient la musique traditionnelle. J’ai trouvé ça fantastique, en matière de transmission, tandis que la musique d’ici était plutôt l’apanage des plus anciens. Quand j’ai eu la chance de commencer l’émission, j’ai pu travailler avec des groupes comme Ialma : cela me convainc qu’on peut développer cette musique. C'étaient des chanteuses basées à Bruxelles, mais d'origine galicienne, qui ont fait tout un travail de réappropriation, de curiosité autour de ces musiques, qui était encore renforcé par le prisme de l'éloignement, le souvenir de ces musiques dans leur tradition, sans y être complètement impliquées. Il y a eu cette approche, cet intérêt, puis elles se sont dit : qu'est-ce qu'on peut en faire ? Et elles ont pu travailler avec musiciens belges comme Didier Laloy, Luc Pilartz ou Nicolas Hauzeur et ça a façonné un nouveau son, une nouvelle musique avec une base de tradition, une compréhension, une attitude, un jeu complètement nouveau. Des musiciens wallons ont donc enrichi le patrimoine de Ialma, de la Galice, de l'Espagne.

Sur chaque album de musique Wallonne, il y a plusieurs titres qui sont très radiophoniques, que je pourrais franchement utiliser dans le cadre d'une émission grand public. Des titres qui sonnent comme une évidence parce qu'ils ont une force mélodique. Et il y a évidemment le talent des musiciens qui les proposent. Sur des albums de Trio14, de Raquel Gigot, de Eä, il y a des mélodies qui sont suffisamment accrocheuses. C'est vraiment très chouette que ça existe. Il y a dans toutes ces productions une véritable richesse musicale. Mais pour qu'elle soit conscientisée, il faut que ces musiques soient diffusées. Ce n'est pas le tout de les concevoir, de les enregistrer : il faut leur donner de la visibilité.

 

Comment, selon vous, une musique wallonne des racines peut-elle trouver sa place dans une Wallonie qui est devenue multiculturelle et métissée ?

On ne coupera pas à la mondialisation, il faut faire avec, mais les racines sont là aussi. Il faut y être attentif et les respecter. Il ne faut pas non plus être inhibé par la mondialisation : je reçois chaque semaine des disques de musiciens qui sont investis dans la culture de leur territoire, quelquefois de leur petite vallée italienne, avec une préoccupation très locale, mais un résultat qui est complètement universel. Pourquoi n'en serait-il pas de même avec la musique de chez nous ? Je crois que nous avons tous les ingrédients, les qualités. Nous pouvons faire un bon repas, mais ce repas - et on revient toujours au même problème - il faut qu'il soit à la carte d'un restaurant. Il faut que la musique soit disponible, écoutable, visible, partagée, et que les gens aient envie de passer la porte du resto.

Mais qu'est-ce qui pourrait être mis en place pour mettre ce plat à la carte du restaurant, au point où on en est actuellement, avec ce qu'on a déjà fait ?

Je crois qu'il faudrait que tous les partenaires avancent de la même façon, en ligne, et pas qu'il y ait des pics chez certains, avec des préoccupations, des sollicitations chez l'un et chez l'autre. Je pense que nous avons vraiment intérêt à fédérer les choses et se dire : on fait quelque chose. Chaque petit moteur peut devenir un grand moteur, en fait. Je crois que c'est plutôt avec cet aspect des choses qu'il faudrait fonctionner pour envisager le futur : l'addition de chaque partenaire, en passant par le collectage, les musiciens, les lieux culturels, les médias.

Moi, je n'ai pas beaucoup d'intérêt à dire que les choses existent dans les arrière-salles de café. Que les gens s'y retrouvent, ça je suis sûr qu'ils le font. Par contre, la caisse de résonance que peut avoir un média, c'est de dire que ces gens sont sur les planches d'un lieu culturel. On quitte le côté "rassemblement amical" pour arriver à quelque chose d'artistique. Je crois que c'est important qu'il y ait aussi cette dimension-là. Que les gens fassent de la musique ensemble, c'est fort bien, mais si on en reste là, ce n'est pas comme ça que l'on va faire émerger les choses. Je crois que les médias doivent se dire : on les prend par la main et on les amène un peu plus loin. On leur donne des projecteurs, des caméras, des micros. Les musiques traditionnelles ont déjà leur public, qui est ce qu'il est, qui peut être hyper concerné, mais aussi limité. Je crois que le cadre peut s'ouvrir davantage pour arriver à quelque chose où on se dit :"ça existe, ça a de la valeur, c'est à prendre en considération".

Je suis sûr que les musiciens qui partagent la même passion, le même amour pour une musique vont se solliciter, faire des choses ensemble. C'est absolument génial, mais un média n'a pas de place pour ce cadre-là, me semble-t-il. Par contre, à partir du moment où le projet est suffisamment mûr, apprécié par ses auteurs, avec leur accord, on peut imaginer une autre dimension, une autre perspective.

 

Comment voyez-vous la suite ?

En ce qui me concerne, j’ai envie de remettre en place, chaque année en septembre, une vitrine pour ces musiques. J’ai envie de donner la parole à des musiciens, des musiciennes, des créateurs, créatrices, qui ont dans leur esprit, dans leur cœur et dans leur âme la volonté de faire apparaître ces musiques. J’ai envie d’enregistrer plus de disques comme le "Codicille 2013", avec Marc Malempré et Rémi Decker.

Si d’autres médias pouvaient aussi s’y intéresser, ce serait vraiment bienvenu. Il faut qu'on en parle et un partenaire tout seul sera vraiment limité.

Je n’ai jamais senti autant d’énergies positives et d’intérêt que maintenant. J’engage tous les partenaires possibles à se parler et mettre en commun leurs énergies, leurs potentiels et à faire en sorte que ces énergies soient de véritables synergies. L'addition de chaque partenaire, en passant par le collectage, les musiciens, les lieux culturels, les médias, ne peut être qu'enrichissante.

Je crois aussi que toutes les envies, tous les projets qui existent, il faut les matérialiser et les fédérer, et peut-être aussi faire en sorte que les tendances singulières deviennent plus collectives, pour qu'elles touchent davantage de monde. Mon souci est toujours d'ouvrir le cercle et d'inviter le plus de monde à l'intérieur de ce cercle.

Moi, j'aimerais franchement bien entendre des jeunes musiciens qui s'approprieraient un répertoire et qui le travailleraient de façon électronique, par exemple, de façon complètement différente, décalée. En Fédération Wallonie-Bruxelles, il y a beaucoup de talents. Il y a toute l'influence, tout le travail qu'une académie, qu'un conservatoire peut avoir, des stages d'été comme l'AKDT, de nombreuses possibilités à développer, à exploiter, à encourager.

 

Le 26 avril prochain, "Le Monde est un Village" (La Première, RTBF) fêtera ses 25 ans au 140 ! Plus d'informations ici.