Plongée dans le quotidien d'un des derniers sonneurs de cloches wallons

Le Musée des Instruments de Musique de Bruxelles (MIM) consacre une vidéo de 15 minutes à une pratique méconnue et presque éteinte : la sonnerie des cloches d'église à la main. Un reportage tout en sobriété centré sur le témoignage et les démonstrations du sonneur de Bellevaux, Marc Nicolas.


[Article publié sur l'ancienne plateforme Melchior le 1/7/2022]

C'est à Bellevaux, petit village de la commune de Bouillon, dans les Ardennes, que nous emmène le MIM, Musée des Instruments de Musique de Bruxelles. Le dernier né de sa série de vidéos consacrées aux musiques traditionnelles de Belgique, qui avait connu un temps d'arrêt avec la pandémie de Covid-19, vient d'être publié sur le site du musée. Il s'agit d'un reportage d'une quinzaine de minutes, filmé le 9 décembre 2021. Le sonneur de cloches local, Marc Nicolas, un natif du village âgé de 84 ans, nous plonge dans son métier, une pratique presque disparue.

"Autrefois, les cloches étaient toujours sonnées à la main, à la corde", explique Stéphane Colin, collaborateur au service pédagogique du MIM, en charge du choix du thème, des prises de son et interviews et de la réalisation de la vidéo. La tradition des sonneurs de cloche remonte loin. À l'origine, c'était une occasion de valoriser des personnalités marginales des villages : "c’étaient souvent des gens décrits comme atypiques, avec une tare (des bossus, des simplets). Dans Victor Hugo, c’est un personnage complètement difforme. Le fait d’avoir cette fonction essentielle dans le village fait d’eux des gens importants. Cela leur rend une place qu’ils n’auraient pas autrement", explique Stéphane Colin.

Une tradition oubliée

Aujourd'hui, selon Stéphane Colin, "cela ne se fait presque plus, car tout est électrifié. De temps en temps, il y a encore des églises où l’on sonne à la main comme ça, mais ce n’est pas une habitude. Tandis que là (à Bellevaux, ndlr), ils ont vraiment gardé cette habitude de toujours sonner exclusivement à la main. Tous les curés ont toujours refusé d’électrifier le clocher, même à une époque où on le leur a proposé." Marc Nicolas succède à sa mère, qui occupait la fonction avant lui. Avec une régularité presque sans faille, il se rend tous les midis à l'église du village pour sonner l'Angélus. 

Les cordes des cloches se trouvent dans l'entrée de l'église, juste en dessous du clocher. Il y a deux cloches, une petite et une grosse, donc deux cordes tombant du plafond. Celles-ci sont reliées à des roues de métal dans le clocher, qui pivotent en entraînant la cloche. Comme on le voit dans la vidéo, le son est produit quand le battant vient heurter le métal, puis la cloche repart dans le sens inverse et le battant vient cogner l'autre côté. Toute la difficulté réside dans le contrôle de ce mouvement. Tirer simplement sur la corde fait sonner les cloches à la volée (plusieurs fois, au gré de la rencontre du battant et du métal qui résulte du balancement), mais les sonneries sont beaucoup plus subtiles.

La sonnerie quotidienne de l'angélus est composée de trois coups sonnés isolément sur la petite cloche, puis d'une volée sur la grosse. Ces coups isolés sont particulièrement difficiles à obtenir, le battant ayant tendance à repartir heurter l'autre côté de la cloche. Mais grâce à l'habitude, Marc Nicolas le contrôle totalement et sent tous ses mouvements à travers la corde. "C’est vraiment un truc à attraper. On a essayé après, mais ce n’est pas très évident. Le battant revient toujours deux ou trois fois, on a toujours deux ou trois coups", raconte Stéphane Colin, souriant. Le glas, sonné en cas de décès, est plus impressionnant encore : il est composé de coups isolés ou en petits groupes, donnés alternativement sur la petite cloche, puis la grosse, puis à nouveau la petite, etc. Jadis, il existait d'autres sonneries quotidiennes et, au 19e siècle, il y avait aussi le tocsin (des coups rapides) pour signaler une guerre ou une catastrophe, et une sonnerie pour guider les villageois égarés dans la neige en plein hiver.

Le pied dans la corde...

Conformément au format caractéristique de la série du MIM, le film fait la part belle aux plans fixes et calmes. Il s'attarde sur la maison du sonneur, sur la danse asymétrique et hypnotisante des cloches dans le clocher, sur le petit village de Bellevaux plongé dans la brume ou dans la neige. C'est Matthieu Thonon, collaborateur à la bibliothèque et responsable de la collection des enregistrements du MIM, qui s'est occupé de la captation des images et des montages vidéos. À l'écran, la présence de l'équipe est réduite au minimum, il n'y a pas de voix off et les questions d'interview sont effacées dans la mesure du possible. Toute la place est donné aux témoignages, aux commentaires et aux petites anecdotes du sonneur de cloche et du curé du village. Marc Nicolas raconte ainsi comment les enfants de chœur avaient tendance à se laisser entraîner par les cordes jusqu'au plafond, sous le poids des cloches, et comment lui-même, étant jeune, s'est un jour pris le pied dans la corde et cogné la tête au sol après avoir été emporté brutalement. 

Pour mettre à l'honneur le rôle de Marc Nicolas et le remercier de son accueil, l'équipe du film et le curé local ont organisé ce dimanche 26 juin une projection du film suivi d'un restaurant, un événement qui a connu un grand succès, avec plus de 50 participants.

En plus des nombreux films déjà réalisés, d'autres projets sont d'ores et déjà sur le métier pour poursuivre ce tour du folklore instrumental encore vivant et le faire découvrir, tout en réalisant un remarquable travail de conservation et d'archivage. Les idées ne manquent pas : une fonte de cloche à Wellin, pour compléter ce documentaire, l'Orchestre Mirlitophile des Molons, les orchestres royaux de mandolines, ou encore les marches de l'Entre-Sambre-et-Meuse, sans oublier d'autres films à réaliser en Flandre. 

Pour suivre ces productions, n'hésitez pas à surveiller la page du site du MIM ou à vous abonner à leur chaîne YouTube.